Il faut pousser le son du volume vers le bruit.
N'oublions pas le casque sur nos oreilles fragiles.
Doux murmure et vrai mur qui nous sépare d'autrui,
Il est bon d'ignorer les cris des langues agiles,
Forant dans le silence, pour tâcher d'exister.
Fi des gens qui s'agitent pour vouloir subsister !
Epargnons-nous l'ennui des longs cris d'agonie,
Répercutés sans fin sur les murs des taudis.
Elle est loin, la misère, comme la Patagonie,
Néanmoins, elle est bien comme l'église de Gaudi :
Ce n'est jamais fini et c'est creux en dedans…
Enfin, on n'entend plus, quand ils claquent des dents.
Ignorons de tout cœur, les sanglots qui dépassent,
Navrants témoins bruyants, des pauvres qui trépassent.
Dans nos sphères parfumées, c'est de l'or qu'on ramasse,
Il est en pièces, en sacs, en lingots qu'on entasse…
Filon bien aurifère, mais pas la moindre crasse,
Fleuve de mille bienfaits, mais de sueur, pas de trace !
En cravate de soie, on glisse, on se déplace,
Rampant sur nos Weston, on a la meilleure place,
Et les gueux alentour ne sont pas de nos races,
Nous tolérons leurs vies parce qu'il faut bien des masses.
Certes, ils sont nécessaires pour que l'on se délasse,
Et leur air obséquieux sent bien fort la mélasse…
Il ne faut pas laisser déchirer le silence,
Ni briser le doux mur de notre bonne conscience.
Dans l'obscur univers de notre pestilence,
Ignorons à dessein les défauts de nos sciences,
Feignons de tout savoir, pour inspirer confiance,
Fiers comme un bar-tabac qui aurait sa licence !
Erigeons comme modèle le dieu Obéissance,
Radieux crapaud puant, qui croupit de naissance…
Expirons dans la soie, entre deux pleins d'essence,
Nourris jusqu'à la fin, avec le plein des sens.
C'est un présent des dieux, une telle existence,
Et nous la méritons, avec tant d'insistance !
Ils ont crissé mes ongles, sur la surface vitrée,
Nettoyant au passage la crasse si concentrée.
Dans les rainures, mes doigts se sont égratignés,
Ignorant la douleur, sans jamais rechigner,
Fouillant dans tous les trous pour chercher des idées…
Fendus étaient mes ongles et mes doigts d'enseignant
Extirpaient des fissures des vers des plus saignants.
Rien n'y fera sans doute et le temps s'est ridé,
Echappant au passé pour un futur meilleur.
Noyé dans le plaisir du divin monnayeur,
C'est un cadavre exquis, gonflé comme un seigneur,
Et mes vers se repaissent du répugnant baigneur.
Ils sont bien sourds, ces cris, qui déchirent le silence.
Nul ne veut partager leur lointaine pestilence.
Dans le désert humain, les cerveaux ont deux mains,*
Ignorant — c'est voulu – tout ce qui est gênant,
Feignant de ne pas voir ce qui est dérangeant,
Fainéants, drogués, chômeurs et toutes sortes de gens,
Evidemment, les femmes, mais, ça… rien d'étonnant !
Remarquez qu'on les voit, mais pour les consommer,
Et leur vie, peu importe, plutôt les assommer !
N'appelez plus sapiens, l'homo à renommer :
C'est moi, moi, moi d'abord, et plus grand que les autres !
En oubliant autrui, en l'égo, on se vautre…
*La droite ignore très bien ce que la gauche détient…
Ignorons le malade, qui refroidit dehors,
Nappé dans un manteau secoué par la vermine.
Dans la rue, c'est très loin. La soirée se termine.
Il y a encore des comptes à vérifier, alors
Fâcheux est l'inconnu, qui se tord dans la brume,
Flétrissant notre image d'une société parfaite.
Elle est belle pour certains, que le bonheur parfume,
Reste les millions d'autres, dont la vie est défaite
Et nous n'y pouvons rien, sans briser l'édifice.
Nous n'y changerons rien, gardant nos artifices,
C'est bien dommage pour eux, mais la vie est cruelle
Et tant pis s'il en crève sous les coups de truelle…
Indignez-vous si bien que cela vous occupe.
N'hésitez pas à perdre vos instants de récup'…
Dans la mare aux cafards où grouillent les pleurnichards,
Il y a de l'eau, du sel, de tout pour faire des larmes,
Facile de dire du mal, des grands et des richards,
Fastidieux de compter les sonnettes d'alarme…
Entendez-vous gémir dans les taudis sordides ?
Rien n'est plus habituel, ne soyons pas candides
En versant notre larme sur les malheurs du monde !
Nous sommes toujours heureux de voir des plus petits,
Coincés dans leur masure, quand le fleuve les inonde,
En sachant que nous sommes bien au sec et nantis.
Il me plaît de rêver que l'on pourrait payer
Non seulement pour manger mais même pour respirer.
Dès la naissance, les hommes sans risquer d'expirer,
Inspireraient de l'air joliment monnayé !
Fournissant le respirateur de mon côté,
Follement, les millions viendraient s'accumuler
Et viendraient faire grimper mes actions bien cotées.
Rien à faire des crevards, aux poumons tout brûlés
En respirant l'air seul, sans mon bon appareil !
Non, ce n'est qu'un beau rêve, et pour l'eau c'est pareil,
Car on trouve bien des gens qui boivent au robinet,
Et mon eau en bouteilles, dans les estaminets ?
Imaginons un monde où nul n'aurait plus faim,
Nul n'aurait plus ni froid, ni soif, ni même la peur
De ne pas trouver où dormir quand vient la fin
Imminente du jour, et les esprits frappeurs
Font une ronde féroce sous le ciel étoilé,
Farci des mille comètes de nos rêves envolés.
Entendez-vous les chants des hommes enfin égaux,
Redevenus des frères, des sœurs, non des mégots
Ejectés par la vitre d'un luxueux véhicule ?
Nantis à parts égales, sans pompeux édicules,
Comment rêver d'un monde sans enfants sacrifiés
Ecarquillant leurs yeux aux paupières tuméfiées ?
Il est beau, mon vison. Elle est belle ma rolex.
Nous aimons les belles choses et manger de bonnes choses.
Dans notre monde fermé, et même si cela vexe,
Il y a des gens bien, qui n'ont pas peur, qui osent !
Foulons aux pieds les gueux, qui n'ont pas notre aisance,
Faibles gens, qui expient toute leur vie leur naissance !
Estimables nous sommes, par générosité,
Rendant un fier service aux collectivités,
Etalant nos valeurs sans vraie nécessité,
Nourrissant la planète, car tout nous appartient !
C'est notre volonté qui fait que l'on obtient
En héritage l'argent et la voracité…
Interdisons aux gueux la liberté de geindre,
Nourris du sentiment qu'ils ont mérité mieux !
Donnons à ces butors l'interdiction de feindre,
Inventifs comédiens, qui jacassent en tous lieux !
Fainéants ataviques, qui cultivent la misère,
Faméliques parasites, aux esprits peu diserts,
En insectes nuisibles, ils se multiplient tant,
Rampant sous tous les cieux, et toujours profitant !
Elle est belle, la planète, telle qu'ils la voudraient leur,
Nourrie de leurs envies de moustiques querelleurs !
Comme on est bien, loin d'eux, dans nos châteaux blindés,
Et comme le monde est beau, quand il est bien scindé !